Dans « Love me tender », Constance Debré raconte sa vie ascétique : une vie de l’après : après avoir quitté son métier d’avocate, après avoir quitté son mari pour aimer les femmes et après que celui-ci l’ait accusé d’attouchements sur son enfant pour se venger pour qu’elle ne puisse plus voir son fils.
Plus de métier, plus de mari, plus d’enfant. Que lui reste-t-il ? La natation, les cafés, les femmes (qui s’attachent à elle à son grand désarroi) un jean, deux tee-shirts, des apparts qui se suivent et dans lesquels elle passe quelques nuits. Et puis un père, mutique, camé, qui habite Montlouis, en Tourraine et auquel elle rend visite sporadiquement :
Une sorte d’antimatière, mon père, une puissance négative qui absorbe tout, tout élan vital, tout désir même négatif, toute la joie, toute la colère. Trente ans que les médecins disent que c’est pas normal qu’il soit vivant, que personne ne peut vivre avec tout le poison qu’il a dans le corps, avec tout ce qu’il a pris et qu’il continue plus ou moins de prendre. Mais c’est un détail cette histoire de came, c’est la surface, la vérité derrière c’est la fixité, le rien, le mou, le non qu’il oppose à tout.
Constance Debré écrit sa vie de vide, mélancolique, monacale, débarrassé du superflu – ou de l’essentiel, on ne sait pas. L’écriture est fulgurante, sans jamais donner de réponses aux questions soulevées.
Parmi ces questions, celle de la maternité quand l’enfant n’est plus là. Constance Debré bouleverse profondément quand elle raconte les courts entretiens qu’elle réussit à obtenir avec son fils dans les locaux d’une association de médiation familiale. Sur la maternité, elle dit l’innommable, déconstruit les modèles, refuse les conventions :
Je ne suis pas une mère. Bien sûr que non. Qui voudrait l’être ? A part celles qui ont tout raté. Qui ont tellement échoué dans tout qu’elles n’ont trouvé que ce statut pour se venger du monde. Il y a des gens qui croient que c’est comme ça. Des femmes qui se disent qu’elles sont mères parce qu’elles ont des enfants. Des hommes qui pensent la même chose des femmes, pépères les pères. Ou bien des pères qui veulent être mère, comme Laurent, pour se venger des femmes qui ne sont pas des femmes, comme moi. Mère c’est quelque chose de pire que femme. C’est un peu comme domestique. Ou chien. Mais en moins bien. En plus méchant. Il n’y a qu’à ouvrir Instagram pour comprendre ça. Ou bien prendre le train et voir les mères tripoter les enfants, les emmerder sur tout, se hausser du col du haut de leur petit pouvoir sadique de mère.
L’écriture, à l’image de sa narratrice, est sans fioritures et nous emporte dès la première page dans le tourment d’une vie de pure déconstruction. Un roman d’une justesse inouïe, qui frappe au ventre et émeut profondément, peut-être même malgré lui.
« Love me tender » est sorti le 8 janvier 2020 aux Editions Flammarion