Aden Arabie – Paul Nizan

Je sais pas si l’un ou l’une d’entre vous a déjà lu Paul Nizan. 

Mais que ce soit ou non le cas, vous devez certainement connaître les premières phrases de son ouvrage majeur, Aden Arabie : « J’avais vingt ans. Je ne laisserais personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme : l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde. »


Résolue à ne pas en rester là, je décidai d’acheter le livre. D’abord étonnée par le peu de pages qu’il constituait. Puis déçue de voir que la préface de Sartre prenait la moitié du livre.


Oui parce que je déteste Sartre. Que cela fasse prétentieux, bon genre ou stupide, cela m’est égal. Je déteste Sartre. Bon écrivain, personne ne le niera. Grand intellectuel, pourquoi pas. Bon philosophe, certainement pas. Même pas philosophe en fait. Après le garçon de café, le coupe-papier, les poncifs sur l’existentialisme, l’enfer c’est les autres, l’existence précède l’essence patati, on en a fait le tour, on referme le livre et l’on se demande vraiment ce que Simone a pu le trouver, à lui le bigleux du quartier latin, le bourgeois complexé d’être un bourgeois et qui se rêvait prolétaire.

Je m’égare. Oui donc, Paul Nizan. 

Il a fait ses études à Henri IV, il est entré à l’Ecole Normale et l’Ecole Normale lui a donné envie d’en sortir. Il est donc parti en Arabie, à Aden, comme précepteur. Il est revenu, il a adhéré au PC, il s’est marié, il a passé l’agreg de philo, et il est mort. A 35 ans. Plus précisément : on l’a assassiné d’une balle dans la tête. Cet idiot n’avait pas cru bon de soutenir le pacte germano-soviétique en 1939. Ce sont des erreurs qui se payent au PC. Pacifique, on a pas idée de l’être en 1939.

Paul Nizan n’a pas été qu’assassiné. On a détruit son œuvre, littéralement. Traître à son parti, je vous dis, c’est moche. Tout a été fait pour que personne ne lise jamais son œuvre : Maurice Thorez, Louis Aragon, tous ces enfoirés ont participé à la campagne de désinformation. On le traitait de flic, et à l’époque c’était plus qu’une insulte. 

Et puis en 1960, Sartre, son grand copain du lycée Henri IV, se décide, il préface son livre et le réhabilite dans toutes les mémoires traitant les communistes de « sous-hommes inconscients de leur sous-humanité ». Jubilatoire. 

Mais ce n’est pas cela qui me pousse à vous parler de lui. 

Premièrement, Paul Nizan a cette particularité d’avoir toujours été fasciné par la mort. « Les gens de mon âge, empêchés de reprendre haleine, oppressés comme des victimes à qui on maintient la tête sous l’eau, se demandaient s’il restait de l’air quelque part : il fallait pourtant les envoyer rejoindre entre deux eaux leurs familles de noyés. » Quand on a passé sa vie à voir les autres mourir, et que l’on doit devenir un intellectuel dans l’entre-deux guerres, la mort est légitimement quelque chose de fascinant. Ca fait de vous un « homme négatif », comme l’écrit Sartre. Comme si l’on arrivait dans le monde par la négation de son existence, comme si l’on regrettait sa naissance en sachant que plus rien ne nous attend désormais que la mort.

Vous trouvez ça glauque, moi non. Lire Nizan c’est apaisant, il n’y a pas d’impatience mais de la curiosité, ce n’est pas morbide, ce n’est pas attendre la mort avec espérance, c’est savoir qu’on va mourir un jour et se demander quelle impression cela fera. En étant mort-assassiné, Paul Nizan a suivi le credo de Brassens. « Mourir pour des idées, l’idée est excellente. » Pour cela, lire ses réflexions sur la mort qui l’attend semble un privilège, une sorte d’avant-première avant la sortie d’un film. 

Mais ce qui est le plus beau chez Paul Nizan, c’est son écriture. J’ai déjà dit que bien écrire n’a rien d’évident. Beaucoup d’écrivains écrivaient très mal, Voltaire charcutait les mots, Anouilh était niaiseux. Mais quelqu’un qui écrit bien n’est pas pour autant un grand écrivain. Gide écrivait très bien, mais il n’avait pas d’idées, il grattait le fond de son cerveau pour trouver les poussières de ce qu’il pourrait mettre dans ses livres. Du vide mais du vide magnifique, ça c’est Gide.

Paul Nizan a les deux : les idées et le style. La phrase est sèche, elle ne s’étend pas sur des pages comme chez Proust, et chaque mot est pesé. Tout est équilibré, voilà c’est ça : Paul Nizan a le sens de l’équilibre. Il a la phrase confortable. « Chacun trouve au fond de ses réveils tous les désordres du temps je ne sais combien de fois réduits à la médiocre échelle d’une inquiétude privée. » Voila ce que j’appelle de la littérature : le mot juste sur l’impression générale, la phrase resserrée dans laquelle chaque mot tient son rôle. Exactement comme quand, au football, chaque joueur a son importance, et si l’on en enlève ne serait-ce qu’un seul, on sent que tout le jeu n’est plus équilibré et presque injuste.

Dernier paragraphe d’Aden Arabie

« Que pas une de nos actions ne soit pure de la colère. Les loisirs pour respirer, les vacances de la nuit sont des heures perdues, des retards dans le combat. L’amour seul est aussi un acte de révolte, ils écrasent l’amour. Si vous trouvez que vos parents, que vos femmes sont du parti ennemi, vous les abandonnerez. Il ne faut plus craindre de haïr. Il ne faut plus rougir d’être fanatique. Je leur dois du mal : ils ont failli me perdre. La haine va s’accroitre de savoir que la haine est une diminution de l’Etre, un état qui a la pauvreté pour mère. Spinoza dit que la haine et le repentir sont deux ennemis du genre humain : j’ignorerai au moins le repentir, je ferai bon ménage avec la haine. Bon ménage avec l’oubli. Les devoirs honorés, les drames magiques engendrés dans les cœurs ne sont plus que les symboles de jeux meurtriers pour les hommes. Il ne reste plus des voyages que de grands désordres d’images : la déroute des ennemis des hommes, des troubles sur la surface de la terre et quelques hommes en veston noir, les bras ouverts sur le pavé, au milieu de la place déserte de la Concorde. »

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